Tome 2 : Animation compétente,subtilités de la pratique,montée en puissance

Avant-propos

Bonheurs et malentendus

 

La percée est réalisée. Le Codéveloppement était ignoré en France il y a 15 ans. Aujourd'hui cette pédagogie fleurit un peu partout dans les entreprises, les institutions, les services publics, les associations. Et régulièrement des appels d'offre la sollicite, venant d'entreprises privées comme publiques.

 

Pourtant les débuts furent incertains. On sait que notre ami Jean Beaujouan, président d'honneur de l'Afcodev, avait identifié, dès les années 80, le talent et l'apport original d'Adrien Payette. Lors de la parution de l'ouvrage "Le Groupe de Codéveloppement professionnel", Jean avait eu la perspicacité d'y reconnaître une innovation importante. Ainsi, en 2002, invite-t'il Adrien Payette à Paris et celui-ci offre à un groupe de cadres et de consultants l'opportunité de découvrir l'approche. Le sait-on ? Cela n'a guère eu de fruit. Un peu d'intérêt. Sans suite.

 

C'est qu'il n'est pas si facile de discerner le potentiel d'une création. Osons les analogies.

En 1913, Marcel Proust présente "Du côté de chez Swann" à la NRF. Cet éditeur refuse le manuscrit.

En 1928 le docteur Fleming découvre la pénicilline. Il y voit un antiseptique. Il n'en verra pas tout le potentiel thérapeutique. Ce n'est que 10 ans plus tard qu'elle viendra sur le devant de la scène avec d'autres acteurs.

En 1935 le physicien Jean-Jacques Trillat invente le principe de la photocopie. Il le propose à la société Kodak. Qui déclare l'invention sans avenir commercial.

 

Ainsi du Codéveloppement, à Paris en 2002, qui, pour certains, paraît banal, "trop simple".

 

En 2004, Jean Beaujouan invite de nouveau Adrien Payette en France. Ce dernier initie un groupe de consultants. Nous en faisons partie. Et, à cette occasion, nous avons le sentiment de découvrir un chaînon manquant du développement managérial. Tout simplement.

 

Le Codéveloppement professionnel est bien une révolution pédagogique, surtout en France, où l'Action learning (même ADN que le Codéveloppemet) n'a pas réussi à prospérer, bien que cela existe depuis 70 ans. Sans doute du fait d'une différence culturelle avec le monde anglo-saxon. Nous y reviendrons.

 

Dans notre premier ouvrage, paru en 2011, nous avons relaté la découverte de cette pratique ainsi que notre parcours avec le concepteur, Adrien Payette. Avec notre équipe, nous avons approfondi de nombreuses situations d'animation ainsi que d'interventions auprès des entreprises. Nous avons également suscité un Think Tank qui rassemble des consultants comme des représentants d'entreprise afin de mener des réflexions, des évaluations et des recherches sur la méthode.

 

Depuis cette parution de 2011, les bonnes nouvelles ont continué de se manifester :

- nous intervenons dans de grandes entreprises qui s'investissent dans l'approche : Orange, Rte, Pages jaunes, CEA, SNCF, Natixis, Casino, 3M, Air France, Crédit agricole, La Poste, Véolia, Décathlon, Leroy Merlin.

- dans de grandes institutions également : Ministère de la transition écologique et solidaire, Ministère de l'agriculture, URSSAF, Banque de France, Le Louvre, APHP, Mairie du Havre.

- nous formons à l'animation plus de 200 consultants, externes ou internes, chaque année.

- nous avons animé plus de 1000 séances chacun et passons beaucoup de temps à échanger pour en tirer de multiples leçons. (Une forme d'Action learning en un sens)

 

Notre pratique a bien sûr évolué. Elle tient compte du contexte culturel en France :

- nous avons révisé les référentiels de compétences pour l'animation et l'intervention (Chapitres 7 et 9).

- nous avons approfondi les subtilités de l'étape 3 (la demande et le contrat) et accordons une part essentielle à la capacité à se repérer dans la problématique du client

- pour nous l'animateur a un rôle important pour stimuler le groupe et les apprentissages (Animation en valeur ajoutée)

- enfin, nous sommes de plus en plus sollicités pour mettre le Codéveloppement au service d'un enjeu croissant des entreprises et des institutions : leur transformation.

Le Codéveloppement est utilisé pour mobiliser les managers à tous niveaux, les aider à faire face aux difficultés du changement, éclairer les comités de direction sur leurs marges de progrès, faire coopérer les grands secteurs en transversal, ce qui nous permet de parler d'une montée en puissance du Codéveloppement.

 

En parallèle de ces développement stimulants, de moins bonnes nouvelles sont également apparues. Le succès du Codéveloppement attire des comportements qui posent question :

- s'auto-proclamer facilitateur sans compétence dans le domaine

- apposer l'étiquette Codéveloppement sur des pratiques contraires à son esprit

- transformer l'approche en pratiques "exotiques".

 

On est passé d'un excès à l'autre. Ce qui paraissait "trop simple" paraît maintenant "très simple". Et donc ne nécessitant pas de formation. Et les contrefaçons commencent à faire du dégât, comme en témoignent des propos entendus dans les entreprises :

- Nous avions commencé des groupes mais on a arrêté. La facilitatrice faisait sortir le client en étape 3 ; ça nous paraissait bizarre".

- J'ai suivi des séances mais j'ai arrêté. Je trouvais que ça devenait "psy" et intrusif".

- On m'a dit "C'est simple, vas-y anime". Ce fut très pénible et désastreux".

- Vous voulez vous former en Codéveloppement ? Inutile, c'est juste un protocole !" (propos tenu par le formateur dans une haute école de coaching)

- Oui, nous avons testé, un coach nous l'a proposé. On était 14 avec 3 niveaux hiérarchiques. En fait il y a eu des conflits. On n'a pas été convaincus...

- Je n'avais pas de sujet. L'animateur m'a dit que si je n'avais pas de sujet, je sortais. Il a ajouté que c'était ça l'approche Payette.

- J'anime depuis 1 ans, mais j'ai une difficulté pour maîtriser le temps des séances. Je déborde chaque fois... La durée de mes séances ? Eh bien 30 minutes, c'est le temps normal n'est-ce pas ?

 

 

C'est le chapitre 3, "Le coeur du Codéveloppement", qui fournira, nous l'espérons, les repères utiles pour y voir clair dans la prolifération des pratiques.

 

Nous osons, dans ce chapitre 3, souligner l'importance des acteurs qui "achètent" le Codéveloppement et leur proposer des points à vérifier.

 

Le chapitre 4, "Quel est le ROI ?", soulignera les réponses pour ceux qui veulent savoir si cette pratique répond simplement à une mode ou apporte une efficacité attendue et vérifiable.

 

Enfin nous évoquerons la diffusion des Antennes Afcodev en France mais aussi le lancement de l'Association i-Codev qui veut participer à une diffusion compétente de la méthode à l'international.

 

Etant donné que nous pratiquons le Codéveloppement professionnel depuis plus de quinze ans, notre expérience vient immanquablement colorer notre approche, même si nous considérons que nous restons fidèles à l'enseignement d'Adrien Payette, auquel nous rendons hommage.

Nous soulignerons les endroits où nous pensons prendre des positions qui nous sont propres, du fait de notre expérience.

 

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Extrait 3. Thierry, directeur de la transformation

 

L'entreprise, basée à Paris, oeuvre dans le domaine des services touchant les pratiques sociales.

Le contexte de la séance est délicat : le groupe est composé des 7 directeurs membre du codir. Le directeur général n'y est pas.

A priori cette situation de séance pose question. En effet, le Codéveloppement n'est pas fait pour une équipe. Encore moins pour un codir. Ni avec son chef : trop d'enjeux entre les personnes et de dépendance. Ni sans son chef : les enjeux sont encore trop nombreux entre les membres. Mais de plus il ne serait pas bon que les membres se retrouvent régulièrement pour réfléchir, mûrir, évoluer, améliorer leur fonctionnement et que le chef en soit exclu.

Situation non souhaitable, donc, mais que nous choisissons parfois d'accepter, exceptionnellement, juste pour faire découvrir l'approche, à condition de savoir faire preuve de beaucoup de professionnalisme, dans le choix du client, dans le choix de la situation, et dans le mode d'animation.

C'est le cas ici : le Codéveloppement va être sans doute être proposé aux 400 managers de l'entreprise. Il est important que les directeurs en apprécient l'impact et valident l'orientation.

Cependant l'animatrice va être particulièrement vigilante sur le choix du sujet et du client, comme indiqué, selon des critères qui ne seront pas exposés ici.

 

L'animatrice présente la méthode et l'enjeu d'appréciation par le codir, codir qui rassemble des hommes peu sensibilisés sur la question, qui ont leurs soucis et leurs priorités, et à qui on a demandé de réserver une matinée.

 

L'animatrice pose les règles essentielles.

Le groupe accepte tant bien que mal de partager des situations. Ou plutôt certains le font volontiers alors quelques-uns se montrent distanciés et commencent à "blaguer".

Le sujet retenu porte sur : "Comprendre les freins à la transformation de l'entreprise".

Le client est Bertrand. De nouveau fusent quelques blaguent qui "charrient" Bertrand.

 

Ce n'est pas forcément une surprise pour l'animatrice. Certaines personnes ont du mal avec le fait de s'impliquer. C'est normal. En même temps le climat moqueur de la séance pourrait devenir bloquant. Elle intervient avec vigueur : "Stop, s'il vous plaît. Pour ce que nous allons faire, on ne se parle pas comme ça. Je vous demande de stopper les blagues et l'ironie pour cette séance, pour que cette expérience ait du sens. Merci à tous."

Elle entend quelques grognements et quelques propos, dans le style "Ça ne va pas être marrant"...

Elle montre aimablement sa détermination

 

Bertrand expose (Etape 1) :

Je me sens seul et ce n'est pas dans ma nature. Je suis directeur de la transformation, cependant j'ai un gros doute dans le traitement des sujets transversaux.

Nous sommes une bonne équipe, mais dans la mise en œuvre des grands travaux, il y a plein de freins. J'ai un sentiment de relative inefficacité. Et donc je me mets en question.

Je sollicite mes collègues sur des actions transverses, mais cela n'avance pas. Est-ce que je devrais m'appuyer bien plus sur notre DG ? J'adore mon job. Je me raccroche à mes équipes. Mais je risque l'isolement.

 

 

 

 

Comme une improvisation au piano

 

"Ma découverte du Codéveloppement a commencé par le "bouche à oreille", puis s'est concrétisée par une séance pratique. Approche curieuse car la mise en situation s'est faite quasi immédiatement. Cette première expérience a déclenché l'envie de poursuivre la découverte de cette méthode. Les règles du jeu, simples, élémentaires, mais redoutablement efficaces, sont fascinantes. Pas de théorie, mais une méthodologie discrète qui fait plonger tout de suite au coeur de l'action. J'y reconnais une "patte" canadienne caractéristique pour nous Français : pragmatisme, efficacité.

Pourquoi tourner autour du pot ? Installons-nous et ...action ! J'ai pris plaisir à participer à une réunion mensuelle (Je l'attendais même avec impatience !). Cela fait penser à une improvisation au piano de Keith Jarrett où en arrivant dans la salle personne ne sait quel thème sera évoqué. Le jeu doit cependant être maîtrisé car s'il est simple d'apparence, il nous fait parfois creuser très profondément en nous...Au terme de l'exercice :  le ressenti d'avoir bien travaillé en commun, contribué à éclairer, dénoué une situation et de s'être enrichi : la magie du Codéveloppement !"

 

Alain MAKULENZKY.

Secrétaire Général.

VEOLIA Recherche & Innovation